Vengeance, Effy.

Vengeance

J'étais au meilleur de ma forme. Je préparais le coup de mon existence, jamais jusqu'à ce jour je n'avais été si remonté. Et ça allait swinguer, foi de Clyde. Si elle pensait que ses petites photos diffusées allait valoir quelque chose après ce que je manigançais, elle se fichait le doigt dans l’œil. Bien sur, ça m'avait demandé du temps, de la préparation, un cadrage parfait pour ne pas tomber dans l'obscène et une certaine dose de méchanceté, il fallait bien l'avouer. J'en étais arrivé à un stade où ma haine me magnifiait dans le vice, et j'y prenais goût. Tout était donc parfait, et avec l'aide de deux/trois gars du club informatique, j'avais dégoté le matériel parfaitement adapté. C'est ainsi que je me retrouvais dans les toilettes de la maison, dissimulant dans l'horrible plante que ma mère avait achetée, une petit caméra enregistreuse minuscule. Je m'assurais à plusieurs reprises que personne ne puisse la déloger et surtout pas Effy, qui me tuerait si elle la découvrait avant que je n'amène mon plan jusqu'à son terme. Tout avait l'air en ordre.

Je laissais passer vingt-quatre heures, fier de mon coup, tentant alors d'être le plus discret et le plus agréable du monde, pour rendre la surprise plus grande encore. J'essayais de ne pas non plus lui sourire, sinon elle se serait doutée de quelque chose. Elle n'était pas très sympathique, mais elle était intelligente, ce qui en faisait un adversaire de taille. Je partis donc récupérer ma petite caméra, et la branchais sur mon ordinateur. Le seul inconvénient de tout cela était que je devais explorer vingt-quatre heures de vidéos pour en extraire LE moment en or – et la plupart de ces quelques heures était loin d'être intéressant.

Il était là, devant mes yeux, à l'aide d'un logiciel, je coupais la petite minute qui m'intéressait, celle où l'on voyait Effy faire la grosse commission. C'était parfaitement immature, j'en avais pleinement conscience, mais il me fallait quelque chose à la hauteur de l'humiliation qu'elle m'avait elle-même fait subir, en pénétrant dans mon intimité et en me volant ces clichés. Le lendemain, tout était envoyé. J'avais pris le mail de ceux qui la détestaient, et de ceux dont elle était le plus proche, et je leur avais fait circuler la vidéo. Une fois que tout cela fut fini, je n'étais pas si satisfait. J'étais vengé, mais je savais qu'elle allait avoir mal comme j'avais eu mal. Mais je me rappelais au caractère démoniaque de mon ennemie et retrouvais ma raison.

Le soir, elle pénétra dans ma chambre.

Vengeance

Elle avait l'air énervée. Très très très énervée. Je la regardais qui gesticulait et s'égosillait devant mon nez. Je mentirais si je disais que cette scène ne m'apportait aucune satisfaction. J'étais parvenu à mes fins, et j’espérais qu'elle ressentait alors la même sensation que moi lorsque j'avais pénétré dans sa chambre il y a quelques jours. De la honte, de la peur. De la colère si elle voulait, mais surtout de la honte. « C'est bon, t'as fini ? » dis-je quand elle eut fini de me faire sa morale à deux francs. J'étais content, mais j'avais également un peu honte d'avoir répondu à ses attaques par un plan aussi bas que celui-là, je m'étais mis à son niveau de cruauté, et j'étais presque en train de le regretter. Surtout pour ma mère. Nous avions fait de ce foyer recomposé un enfer sur Terre, nous avions poussé nos parents à bout, influençant mon frère et ses sœurs, et rendant à peu près tout notre entourage fou à lier. Mais je n'étais pas prêt de lui avouer que je regrettais d'avoir été cruel avec elle, essayant de me rassurer avec le fait que c'était elle qui avait commencé, et que je n'avais fait que lui rendre la monnaie de sa pièce. « Ça fait pas du bien hein ? Tu sens toute cette haine et toute cette honte en toi ? C'est exactement ce que j'ai ressenti quand tu as pris mes photos et que tu les a diffusé. Surtout qu'elles comptent pour moi, qu'elles veulent dire quelque chose. Toi à la limite tout le monde va aux chiottes. Et puis tu te demandes comment tu vas affronter ça au lycée demain hein ? Ce matin, je me suis levé, j'ai arpenté ces couloirs et comme tous les matins depuis le début de la semaine, des gens m'ont dévisagé, m'ont ri au nez et on m'a même renversé une bouteille de coca sur la tête. J'espère qu'il y aura quelqu'un qui aura la bonté d'âme de te faire la même chose et que tu iras pleurer dans les toilettes, ça ferait une super seconde vidéo... » Je m'arrêtais deux minutes, tentant de la jauger, me rendant compte que j'étais peut-être aller un peu trop loin. « J'aimerais vraiment te dire que je suis désolé Effy, mais tu l'as mérité, tu l'as farouchement mérité.
Comme pour appuyer mes dire, j'ouvris une page internet où un camarade de lycée avait posté mes photos avec une légende pas très glorieuse et des commentaires crasseux. Quand j'étais tombé là-dessus plus tôt dans la journée, j'avais eu simplement envie de mourir. Je plantais l'écran devant la figure d'Effy. « Tu vois, avec tes conneries ! »

Vengeance

Ce n'était que des photos. Cette fille était égoïstement bornée. Si elle ne voulait pas accepter qu'il y avait d'autres choses qui tournaient autour de son petit monde, que certaines personnes avaient elles aussi leurs propres sentiments, grand bien lui fasse. Il était vrai que personne ne méritait ça, comme il y avait de grandes chances que personne ne mérite ce qu'elle m'avait fait non plus. Pourtant, je n'avais pas l'impression que nous étions quittes, et que cette vengeance n'était peut-être pas celle qu'il aurait fallu entreprendre. Je sentais que la situation allait empirer, mais j'étais bien trop fier pour tenter quoi que ce soit pour apaiser la situation. Ma page internet ne me fut pas d'une grande aide pour tenter de la convaincre de sa cruauté, à elle aussi. Elle me dit simplement qu'elle n'avait pas voulu ça. « T’espérais quoi alors ? » lui lançais-je, n'espérant pas de réponse. Elle avait l'air attristée, et je sentais qu'elle se retenait de ne pas pleurer devant moi. Je détestais voir les larmes des gens devant moi, ça appelait directement à ma compassion, et il était hors de question que je ressente un quelconque sentiment de ce genre envers cet être affreux qui se tenait devant moi. Je continuais de la fixer, comme si ma vie en dépendait, pour la défier et me donner une contenance. Je reposais mon ordinateur et la sanction tomba. C'était à elle de faire des promesses, celle de me détruire et de m'engloutir, au péril de sa propre intégrité. Bizarrement, ça ne me faisait ni chaud ni froid, je me disais qu'au point où on en était de toutes façons, il n'y avait plus d'autres issues possibles, et que j'allais bien devoir affronter ses foudres. Et m'en défendre comme je pouvais. Je ne prenais même plus plaisir à la voir s'énerver sur mon compte. Je souriais. C'est vrai que c'était plutôt malsain, mais enfin, je l'avais dans un but purement vengeur. « Tu connais pas encore les lycéens ? Certains vont peut-être se rallier à ta cause, mais ce qui restera à la plupart c'est ta petite moue concentrée sur le trône... » Je trouvais ça triste d'une certaine façon, et j'espérais avoir raison, même si je n'en doutais que moyennement. Après tout, tout ce qui allait les intéresser, c'était de voir une jolie fille populaire du lycée sur les toilettes, le demi-frère pervers, peu s'attarderaient dessus. Mais j'avais appris durant cette longue bataille qu'il ne fallait pas sous-estimer l'ennemie. Et je savais qu'Effy avait de l'ingéniosité à revendre.
« Puis après tout, au point où j'en suis, fais donc ! Je crois que je vais commencer à apprécier le coca qui dégouline le long de mon visage. » Provocation et détachement obligent. « Toutefois Effy, tu as toujours été d'une insensibilité à faire peur. » Je marquais une pause. « Enfin sauf quand il s'agit de ta petite personne, évidemment. »

Vengeance

Elle me tournait le dos tout le long de mon monologue, ce qui me laissait à penser que tout cela l'atteignait plus qu'elle ne me le laissait voir. Elle m'accusa de détenir l'entière responsabilité de son comportement. Je le trouvais drôlement gonflée, de me dire, à moi, que si elle était comme ça, c'était de ma faute. Ou alors elle était encore plus bête que ce que je pensais. Mais enfin, je pris le parti de me taire. Elle avait raison, tout ce qu'on avait fait depuis qu'on vivait ensemble, c'était se tirer dans les pattes, et ça avait mis les nerfs de tout le monde à rude épreuve. Ceux de son père, de ma mère, de ses sœurs, de mon frère, et, il fallait bien le concéder, les nôtres aussi. Je ne savais plus comment toute cette fichue histoire avait commencé. Ma vie avait juste totalement changé, du jour au lendemain. Un matin, ma mère nous avait assis autour d'une table mon frère et moi, nous avait pris les mains et nous avait dit : « Voilà les garçons, j'ai rencontré quelqu'un de super, on va ré-emménager dans notre ancienne maison et on va essayer de vivre harmonieusement tous les sept. » Bon, d'accord, ce n'était pas ses paroles exactes, mais en substance, ça y ressemblait. Je me souviens avoir penser que plus rien ne serait jamais comme avant. Nous qui avions vu la Chine, Paris, le sud de la France, l'Australie, l'Inde, le Sénégal, le Brésil, l'Argentine, ... nous allions redevenir des gens comme tous les autres. J'allais avoir trois sœurs, un nouveau père, une nouvelle maison, et j'allais juste aller à l'école. Au fond, au départ, ce que je détestais, ce n'était pas vraiment Effy, mais tous les bouleversements qu'elle apportait dans mon existence. Ma mère disait que je finirais pas m'y faire. Mais ce ne fut pas vraiment le cas...

Je détestais cette fille, sa chambre bien rangée et fleurie, ses résultats à l'école, sa popularité, toute la bande d'amis qu'elle avait, quand moi, j'étais incapable de garder un lieu rangé, que je me battais pour avoir la moyenne et que mon seul véritable ami était Valentin. Je la détestais d'avoir deux parents qui l'aimaient alors que mon père nous avait lâchement abandonnés. J'étais jaloux. Mais comment lui dire tout cela sans passer pour un désespéré ? Elle allait sans doute me rire au nez et en profiter pour me faire le coup bas du siècle. L'avantage avec le fait qu'on ne se connaissait que peu était qu'on ne pouvait pas se faire réellement beaucoup de mal. Si je m'ouvrais à elle, elle aurait les outils pour me détruire et ça ferait très très mal. Je ne savais alors que dire, et pour la première fois, devant elle, je restais pantois. Aucun mot ne voulait sortir de ma bouche alors qu'elle s'était relevée pour me faire face. Je n'avais pas de mensonge à inventer, et il était pour moi hors de question de dire la vérité. Alors que me restait-il ? Je décidais de rester en surface, après un moment de silence. « T'es superficielle, pédante, tes centres d'intérêt se résument aux fringues, aux mecs et à tes copines, j'ai juste rien à te dire. » C'était totalement idiot, et je le savais. « Enfin je... J'sais pas. » Je m'arrêtais un moment, cherchant le moyen de reprendre le contrôle de la conversation. « J'veux dire, qu'est ce que tu sais de moi toi ? Qu'est ce qui te permet de dire que tu me détestes ? »

Vengeance

Je commençais à comprendre. Je commençais à comprendre qu'on ne se détestait pas vraiment. D'abord, parce que nous ne pouvions pas l'expliquer, ensuite, parce que la seule haine que l'on pourrait partager résultait des choses qu'on s'était faites parce qu'on était partis sur de la haine. On avait basé tous nos rapports sur le fait que nous ne voulions pas l'un de l'autre, et qu'on allait se le faire comprendre. J'avais été méchant une fois de plus, c'était vrai. Tout ce que j'avais trouvé à dire, c'était qu'elle était prétentieuse et imbuvable, en substance je ne savais pas vraiment si elle l'était. Mais être gentil avec elle nécessitait que je me ré-éduque. Nos rapports étaient ainsi parce que c'était plus facile. C'était plus facile de s'insulter, de se faire des coups bas plutôt que d'essayer de se connaître et de s'apprécier. Et cela même si c'était affreusement fatiguant de se détester. Elle savait que mon meilleur s'appelait Valentin, même si c'était pas bien difficile, je prenais conscience que je ne connaissais le nom de ses amis que parce que tout le monde les connaissait au lycée. Je n'aimais pas le lycée, c'était vrai, mais bon ça, elle avait dû le présumer, après tout, elle avait une chance sur deux. Me rendant compte que je ne pouvais pas statuer sur son amour de l'école, je ravalais ma salive et me tus. La plus grande révélation fut la dernière : elle non plus ne voulait pas de cette famille. Et je me rendis compte que j'avais tellement été aveuglé par mon refus de la vie que ma mère nous proposait que je n'avais pas pensé une seconde qu'elle aussi, elle avait pu être bousculée par toute cette nouveauté. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'elle revoyait souvent sa mère, elle. Qu'elle avait des contacts avec ses deux parents. Enfin d'une certaine manière, j'étais touché par tout cela, elle avait pris le parti d'être sincère, et intérieurement, je lui en étais reconnaissant, elle alla même jusqu'à me dire qu'elle ne me détestait peut-être pas finalement. C'en fut trop pour mon côté gentil et je lui dis : « Je suis désolé, je ne sais même pas si tu es prétentieuse ou quoi que ce soit. Je crois que je ne déteste pas vraiment non plus Effy. »
Pourtant, l’accalmie fut de courte durée, elle attaqua tout de suite avec cette histoire de vidéo qu'elle ne me pardonnerait pas. J'avais conscience que ça devait la toucher, que ça allait être difficile pour elle de se retrouver face aux autres au lycée. Et j'avais toujours en travers de la gorge cette histoire de photos qui me hantait. Alors, à sa petite remarque, je me contentai de rire, un peu absent.
Je me dirigeais vers mon bureau, attrapait une caisse et lui dis : « Il paraît qu'on en apprend beaucoup sur les gens en regardant leurs goûts musicaux. » Je souris et lui tendais la boîte. « Je te laisse choisir le premier. »